Des délais de procédure : petits arrangements entre « amis ».
Il est courant d'entendre des justiciables se plaindre des délais de traitement des dossiers par la Justice. Des magistrats et avocats s'y associent, en nous chantant toujours la même antienne sur le refrain de l'engorgement des tribunaux. Ils feindront de partager le désarroi des justiciables en se désolant que la justice n'a pas assez de moyens, propos élusifs pour ne pas aborder les vrais raisons.
Car, tous ceux qui suivent la vie judiciaire se rendent vite compte que les audiences font l'objet de nombreux reports avant que l'affaire soit plaidée. Les professionnels du droit vous expliqueront que ces reports successifs sont nécessaires pour respecter le principe du contradictoire afin que chaque partie puisse exposer ses arguments.
Toutefois, on s'aperçoit rapidement que cette mise en scène est parfaitement orchestrée par les magistrats et avocats avec une complicité étonnante même s'ils ont des motivations différentes. Ce manège se fait au détriment du justiciable et avec le plus grand mépris envers ce dernier qui est pourtant invité à avoir de la compassion pour les professionnels du droit qui travaillent dans de mauvaises conditions.
Or, s'il y a encombrement c'est peut être dans les cabinets d'avocats qui prennent plus d'affaires qu'ils sont capables d'en gérer efficacement. Il en résulte que ces avocats sont incapables de déposer leurs conclusions dans les délais impartis et sollicitent des reports d'audience, avec l'approbation complice de leur confrère adverse, dans une sorte de pacte de non agression confraternel. De son côté, le magistrat accordera, le plus souvent, ce renvoi, trouvant plus facile de reporter l'affaire plutôt que de la juger. Ils ne sont pas, pour autant, tous frappés de procrastination.
Ce n'est pas respecter le principe du contradictoire que d'accorder un délai à l'avocat qui n'a pas pris le temps de rédiger ses conclusions, alors qu'il se passe, en général, plusieurs mois entre chaque audience de « mise en état ».
On peut regretter ce délai entre chaque audience, mais on peut surtout dénoncer ces audiences inutiles , où les affaires sont appelées juste pour être renvoyée à une date ultérieure, ce qui encombre l'agenda des tribunaux. Dans ces conditions, la consultation des plumitifs doit être « passionnante »...
L'avocat plaidera qu'il a besoin de temps pour préparer la défense de son client. Même si cette façon de procéder est enveloppée sous la noble cause du respect du débat contradictoire, elle dissimule souvent l'inertie de l'avocat, voire un moyen dilatoire de son client.
A titre d'exemple, un récent rapport parlementaire*, relatif à la lenteur des procédures en matière d'asile, a dénoncé le fait que les reports d'audiences étaient dûs à 28,9 % à l'absence des avocats. S'il est légitime de dénoncer de tels reports d'audiences en matière d'asile, notamment en raison des coûts directs et indirects de ces procédures, il encore plus légitime de le dénoncer dans toutes les procédures civiles où des avocats sollicitent trop facilement des reports d'audience.
Certains avocats abusent, aussi, de la pratique qui consiste à déposer des conclusions la veille de l'audience, ce qui impose à l'avocat adverse de solliciter un nouveau report pour étudier les conclusions de son Confrère et envisager une réplique.
La plupart du temps, le justiciable ne peut que subir car les juges sont plus sensibles aux « faix » de l'avocat qu'aux heures que le justicibale aura pris, sur son temps de travail, pour se déplacer à l'audience, sans parler des kilomètres qu'il aura parcourus pour s'y rendre.
Ce petit jeu peut conduire à des reports interminables, au mépris du justiciable qui est le témoin impuissant de cette mascarade procédurale. Face à l'inertie de certains avocats, le juge peut leur faire injonction de conclure dans un certain délai mais, au final, il n'y aura aucune conséquence pour celui qui aura abuser des reports successifs d'audiences.
Ainsi, il peut se passer de nombreux mois après l'assignation pour que la partie adverse daigne déposer ses conclusions en réponse, sans que cela dérange le juge chargé de la mise en état. Ce dernier est toujours prompt à accorder des délais aux avocats retardataires, alors qu'ils ne respectent ni l'institution judiciaire ni le justiciable. Pour autant, les juges ne s'en offusquent pas et laissent perdurer ces dérives procédurales.
En exagérant un peu, on pourrait rappeler au demandeur que c'est lui qui dérange le juge et non pas le défendeur, qui n'a pas demandé à être assigné au tribunal, surtout si l'action qui en est la cause est justifiée. Aux yeux du juge, le demandeur apparait plus comme un râleur et que comme celui qui vient dénoncer une injustice qui lui est faîte. Dès lors, le juge accordera plus facilement au défendeur de larges délais pour préparer sa défense, alors même que la phase amiable lui a souvent permis de gagner du temps et/ou de préparer sa défense.
Le plus burlesque c'est quand un tribunal, deux ans après avoir été saisi, condamne une partie pour avoir tardé à exécuter ses obligations contractuelles ou la déboute pour avoir dépassé d'un jour un délai de prescription. « Dura lex sed lex » pour les justiciables mais pas pour les magistrats.
Parlez-en à l'avocat ou au juge, si vous vous défendez seul, ils verront, au moins, que vous n'êtes pas dupe de leur petit jeu., Après la première audience qui fait habituellement l'objet d'un renvoi à la demande du défendeur, opposez-vous à tout nouveau report, en dénonçant les procédés dilatoires de la partie adverse.
Après libre à ceux qui veulent se laisser bercer à la douce mélodie du manque de moyens et de l’encombrement des tribunaux.
En conclusion, si les avocats et magistrats sont toujours prompts à dénoncer les délais de procédure, ils en sont les premiers responsables avant le manque d'effectif dans la justice.
Dans ces conditions, il n'est pas inutile de rappeler que le code de déontologie des avocats dispose que « l’avocat ne peut accepter une affaire s’il est dans l’incapacité de s’en occuper promptement, compte tenu de ses autres obligations » .
De même, l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales dispose que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, par un tribunal.
Enfin, l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire dispose que l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une « faute lourde » ou par un déni de justice.
Vous aurez compris que le retard dans le jugement d'une affaire est rarement jugé abusif. De plus, autant vous dire qu'engager une telle action en indemnisation contre l'Etat vous conduira dans des délais de procédure encore plus longs car la justice admnistrative est désespéremment lente.
* http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i1879.asp (Rapport n°1879 enregistré le 10 avril 2014 par l'Assemblée Nationale)