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JUSTICE CIVILE
29 janvier 2014

Aide Juridictionnelle et Assurance Protection Juridique

Par décret n°2013-1280 du 29 décembre 2013, le gouvernement a abrogé la contribution de 35 € à l'aide juridique pour les actions en justice engagées à compter du 1er janvier 2014. Cette taxe, introduite en 2011, devait être versée pour chaque instance introduite en matière civile et commerciale, sous réserves d'un certain nombre d'exceptions. Cette taxe contribuait au financement de l'aide juridictionnelle.

Madame TAUBIRA prétendait que cette contribution de 35 € était de nature à décourager certains justiciables de faire valoir leurs droits en justice. Sachant que les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle en étaient dispensés, personne ne sera dupe de cet argument fallacieux. Chacun se doute qu'en saisissant un tribunal, on s'expose à des frais sans commune mesure avec la somme de 35 €. Cela va des frais d'huissier, d'avocat, d'expertise judiciaire et des éventuelles condamnations à payer les frais irrépétibles et dépens de la partie adverse.

Madame TAUBIRA pouvait estimer qu'il s'agissait d'un symbole et qu'aucun frein ne devait entraver la possibilité d'agir en justice. Mais, dans ce cas, il faut arrêter l'hypocrisie et revenir à la réalité, car les freins existent déjà et dépassent largement l'impact financier d'une taxe à 35 €. Un justiciable n'a pas pu sérieusement prétendre renoncer à une action judiciaire à cause de cette taxe. Soit il était conscient que son action n'était pas sérieusement défendable, soit l'enjeu financier était si insignifiant qu'il n'y avait pas lieu de déranger des juges et greffiers pour cela.

Les délais de procédure, l'aléa judiciaire, les honoraires d'avocat sont de freins réels à une initiative judiciaire. Pour ces problèmes, point de réforme en vue, mieux vaut rester dans le symbolique, purement politique, plutôt que de s'attaquer aux maux de la justice, sans démagogie.

Lorsque le Ministère de la Justice avait annoncé son intention de modifier le financement de l'aide juridictionnelle, en supprimant la taxe de 35 €, sans prévoir de financement alternatif, le Barreau de Paris avait considéré qu'il était "irresponsable de laisser en déshérence un système (l'A.J.) qui doit garantir aux justiciables les plus fragiles l'accès à une justice de qualité"(1). Même si l'on devine que l'envolée du Barreau envers les plus démunis cachait mal l'intérêt de la profession, il n'en demeure pas moins qu'il peut paraître surprenant de supprimer un mode de financement de l'A.J. sans le remplacer par un autre. Avec la même hypocrisie, le Syndicat de la Magistrature avait dénoncé le flou quant au futur financement de l'aide juridictionnelle et avait plaidé pour un meilleur accès à la Justice. Pour autant, ce sont les mêmes qui n'hésitent pas à accorder des indemnités dérisoires au titre de l'article 700 du code de procédure civile (indemnité destinée à compenser les honoraires exposés par le justiciable qui a gagné un procès), estimant légitime que le justiciable conserve à sa charge une partie des frais d'avocat qu'il a été contraint d'engager pour défendre ses intérêts. Ce sont aussi les mêmes qui valident les factures indécentes de certains experts judiciaires, au mépris des justiciables qui devront en supporter la charge. Mais, la bonne conscience est sauve, il fallait supprimer la taxe de 35 € du précédent gouvernement; au diable la réalité, pourvu qu'il y ait l'extase de la bien-pensance. Pour paraphraser Bossuet, on ne peut que rire de ces personnes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes.

Dans un second temps, la Chancellerie avait envisagé de remplacer la taxe à 35 € par une taxe sur le chiffre d'affaires des cabinets d'avocats, ce qui a déclenché le courroux, légitime, des Barreaux. Il est désormais envisagé de taxer les assureurs, déjà largement taxés pour contribuer à différents fonds de garantie². A force de vouloir taxer les sociétés d'assurance et d'encadrer leurs domaines d'activités, la Chancellerie pourrait finir par "tuer" la poule aux oeufs d'or et inciter les assureurs à s'écarter du secteur de la Protection Juridique. Pour diminuer l'impact financier des divorces sur les caisses de l'aide juridictionnelle, la Chancellerie avait aussi envisagé d'obliger les assureurs de Protection Juridique à couvrir les cas de divorce dans leurs contrats. Une façon de se décharger de ce coût sur les assureurs, de la même façon que l'Etat se décharge de certaines dépenses sur les collectivités territoriales. Néanmoins, il n'aurait pas dû échapper aux "grands esprits" de la Chancellerie que le contrat d'assurance ne se justifie que s'il existe un aléa dans le risque. Or, en matière de divorce, l'aléa devient de plus en plus limité, notamment en région parisienne où quasiment un couple sur deux divorce.

A la Chancellerie et au Barreau, certains rêvent également de faire des assurances de Protection Juridique le pendant de l'assurance santé, avec les déficits que l'on connaît. Quand un système est en faillite pourquoi ne pas le reproduire, ça évite de se remettre en cause. Pour les avocats, il serait tellement plus aisé de pouvoir engager toutes les procédures et expertises judiciaires qu'ils souhaitent, aux frais des assureurs Protection Juridique, sans aucun contrôle. L'assurance Protection Juridique facilite l'accès à la Justice mais ne pourra continuer à le faire que si les coûts sont maîtrisés et maîtrisables. On ne peut que dénoncer les avocats qui profitent de l'assurance Protection Juridique de leurs clients pour augmenter leurs factures, à l'image des opticiens qui gonflent le prix des lunettes "grâce" aux mutuelles santé de leurs clients ? Il faudrait éviter cet effet pervers. Il existe une vrai tentation de faire de l'assurance Protection Juridique le pendant de la Sécurité Sociale et certains avocats rêvent d'avoir la même liberté d'action que les Médecins et Chirurgiens, comme si la "sécurité juridique" était aussi vitale que la "sécurité sociale". Vital pour qui, pour les avocats ou pour leurs clients ?

1 - Bulletin Bareau de Paris, n° 25 du 17/09/2013

2 - http://www.ffsa.fr/sites/jcms/p1_83748/taxes-et-contributions-sur-les-cotisations-dassurance?cc=c_51663

 

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  • La Justice civile est boudée par les médias qui préfèrent la Justice pénale alors que nos concitoyens sont beaucoup plus confrontés à la Justice civile. Le but de ce blog est de s'en faire l'écho. Juriste, Erga Omnes vous propose son retour d'expérience
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